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PORTRAIT

Frédéric Fontenoy, c’est avant tout une histoire de famille. Un grand-père juif exilé d’un côté et un grand-père collaborateur de l’autre, disparu lors de la chute de Berlin au printemps 1945. Tabou et part d’ombre de la famille, à 40 ans, Frédéric Fontenoy commence à faire des recherches sur ce grand-père énigmatique avant de s’apercevoir de l’importance du personnage, condamné par contumace à 20 années de prison, en 1947. Inspiré à la fois par ce grand-père maudit, par les lectures de Georges Bataille et l’imagerie de Hans Bellmer, Fontenoy photographie des corps délibérément sexuels et revendiqués comme tels. Frédéric Fontenoy est né à Paris en 1963 où il a construit son studio dans son appartement, un lieu à l’image du personnage.

 

Ses oeuvres, controversées, sont dérangeantes et saisissantes. Son travail dépeint des scènes d’intérieur dans une chambre noire, un décor rempli d’objets d’antiquaires, rappelant les bordels des années 30. Dans ses photos apparaît son « personnage », un double pervers, Fontenoy lui-même, transfiguré en une sorte d’individu intemporel se mouvant dans un décor identique bien que variable, selon les scènes, dans sa chambre noire, une pièce d’un théâtre ou d’un labyrinthe mental. En bourreau, Fontenoy martyrise ses modèles. Il les attache, il les fouette, il les attache, il les corrige ... La femme est objet, meuble parfois. Il joue avec les clichés fétichistes, l’érotisme et le monde du BDSM, des cordes, des talons hauts, des cravaches et des cannes jusqu’aux poulpes et à la svastika. Mais même en victimes, les modèles sont en extase. Derrière ces images libidineuses, le rendu est purement esthétique, le style extrêmement recherché, le noir et blanc associé aux contrastes des différents jeux d’ombre et de lumière élégant, les personnages harmonieux, le spectateur se fait voyeur et prend part à cette débauche.
 

INTERVIEW EXCLUSIVE

Ton univers est apparemment très lié à ton contexte familial ?
L’univers s’est construit petit à petit jusqu’au jour où j’ai vu que c’était un univers, construit par l’accumulation de mon travail. Après il y avait un vrai choix, le souci a été de situer la fiction, car c’est une fiction à la base, entre les années 1930 et 1945. J’ai commencé ce travail après quelques années de recherches sur mon grand-père, ce non-dit familial, et j’ai d’abord voulu faire un film sur ce personnage. J’avais plein d’objets lui appartenant : des meubles, des sculptures. J’avais tout ça sous la main sans les utiliser. Il n’y a pas que le côté collabo ! Mon grand-père était écrivain. J’ai donc fait des photos avec des citations, avec des machines à écrire, puis j’ai fait une photo sur l’opium, il était opiomane. J’aime beaucoup la photo avec quatre jambes en forme de croix nazie dans un miroir. Dans le journal que je tiens entre les mains, « L’oeuvre », on peut apercevoir mon grand-père en première page. Il faisait alors une conférence politique. Son exfemme, ma grand-mère, avait une histoire d’amour avec Hans Bellmer. Elle m’a d’ailleurs remis des dessins, des photos et des livres rares ainsi que des portraits d’elle. De là est venu le concept de la croix gammée de Bellmer. C’est la photo la plus liée à mon histoire familiale ! Le reste du temps, je laisse traîner un bouquin où il a écrit quelques pages. C’est le premier journaliste, alors à Havas, à se rendre à Moscou après la révolution. Il parlait russe couramment, il traduisait Tolstoï en 1924. Puis il se fait expulser par les Russes car il devenait anticommuniste. Il part ensuite en Chine et revient en France dans les années 1935 pour commencer son parcours politique plutôt orienté extrême droite. C’était un aventurier aux vies multiples et la famille ne voulait pas en parler parce que c’était compliqué. Elle le réduisait au côté collabo et en 45 il disparaît, sans aucun acte de décès. C’est le cadavre dans le placard ! Il aurait disparu deux jours après Hitler. Mon père a reçu une lettre officielle quelques années après. Mon grand père était le ministre de la communication de Tchang Kaï-chek, un révolutionnaire précédant Mao, et quand ce dernier a pris le pouvoir il est parti à Taiwan. Dans ce même temps il dirigeait l’agence de presse Havas pour la France et on lui disait qu’il ne pouvait pas être à la fois ministre de Tchang Kaï-chek et publier des informations pour la France ! ». Il avait à peine trente ans !

C’était donc un collabo un peu virulent ?
Il a monté plusieurs partis politiques pendant la collaboration. Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France, était un de ses proches et ses journaux étaient financés par les Allemands. Disparu à 46 ans, c’est comme s’il avait eu plusieurs vies. Et en découvrant son histoire, je me suis dis qu’il fallait y aller à fond et c’est pour ça que je prends des risques aussi. Je n’avais pas cette énergie là avant de découvrir ce qu’il avait fait. Il y a donc beaucoup de l’univers familial dans mes photos ! Qu’est ce qui t’a amené à faire du nu ? J’ai toujours travaillé sur le corps. Depuis l’âge de 18 ans, j’ai voulu être photographe. Je suis sorti d’une école de photo en Suisse et j’ai tout de suite travaillé sur le corps, sur mon corps quand j’étais jeune et svelte (Rires). Mais ce n’était pas du nu, c’était vraiment un travail sur le corps : le corps dans l’espace avec un axe photographique. Je connais donc ça très bien. Avant j’étais plus abstrait, plus plasticien et à un moment je suis arrivé à la narration, avec ces histoires sur ma famille.

- Retrouvez la suite de Frédéric Fontenoy dans Normal Magazine n°6 -

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