PORTRAIT
Depuis plus de 30 ans, Nick Knight réinvente la photographie, refaçonne l’image à sa manière et repousse les frontières techniques et créatives. L’artiste pluridisciplinaire a su donner au monde, et au monde de la mode notamment, une multitude d’images des plus saisissantes, et insufler un courant innovant. Au-delà de toute notion d’esthétisme, il explore la multitude des facettes humaines, le handicap, l’âgisme, l’anthropomorphisme, le fanatisme, le racisme... Ses photos sont singulières, hautement esthétiques, étranges ou ordinaires, surréalistes ou banales et se posent comme la remise en question des pensées conventionnelles sur la notion même de beau ou de laid. Des premières conceptions du sty- liste Yamamoto aux natures mortes, de Kate Moss à la reine d’Angleterre, Nick Knight a su secouer les diktats et les idées préconçues.
Nick Knight est l’un des photographes les plus in uents et les plus visionnaires de sa généra- tion. Né en 1958, il a étudié la photographie à Bournemouth et au Collège d’Art et de Design de Poole. En 1982, il publie Skinheads, son pre- mier livre de photographies. À l’époque, Terry Jones, rédacteur en chef du magazine I-D, lui commande une centaine de portraits pour le numéro du cinquième anniversaire du maga- zine. Nick Knight collabore alors au catalogue
de 1986 de Yohji Yamamoto (célèbre designer et styliste japonais). En 1993, sa photographie de Linda Evangelista pour la couverture du British Vogue lance sa notoriété.
En 2000, Knight lance SHOWstudio.com, un média consacré à l’image de mode en direct. Le site Web propose des photographies, des lms et des spectacles avec des célébrités, des designers, des cinéastes, des écrivains et des personnalités culturelles a n de créer un contenu visionnaire en ligne, explorant toutes les facettes de la mode à travers l’image en mouvement, l’illustration, la photographie et l’écrit.
L’objectif de l’artiste, via ce site, est de « montrer l’ensemble du processus de création, de la conception à l’achèvement ».
En 2001, Nick Knight réalise Pagan Poetry, son premier clip pour Björk. Dix ans plus tard, ce sera la vidéo, Born this Way pour Lady Gaga et Bound 2 de Kanye West. En 2016, il a été chargé de faire les portraits of ciels de la reine Elizabeth et du prince Charles pour le 90e anniversaire de la reine. Nick Knight vit avec sa femme et ses trois enfants à Londres. Il a reçu l’Ordre de l’Empire britannique en 2010 pour ses services aux Arts. Il est professeur honoraire de l’Université des Arts de Londres et a reçu un doctorat honorifique de la même université.
INTERVIEW EXCLUSIVE
Vous considérez-vous comme un photographe de mode ?
La mode m’a toujours fasciné, depuis que je suis enfant. C’est pourquoi j’en ai fait mon travail. Mais je ne réduis pas mon travail à celui de photographe et je ne me décris pas comme photographe de mode. J’ai un avis sur tout, et je ne vois pas pourquoi quelque chose devrait me définir ou me caractériser. Je ne veux surtout pas être catalogué comme photographe, je ne le veux plus du moins. Ce que je fais, ce n’est pas de la photographie. La photographie est clairement définie par tous les critères en lien avec Richard Avedon, Robert Mapplethorpe, Eadweard Muybridge et tant d’autres. Ils sont tous photographes, ils utilisent tous le même médium. Ce que je fais maintenant, depuis ces 30 dernières années, est au-delà des frontières et du périmètre même dé ni par ces photographes. Je fais de la retouche sur Photoshop, j’utilise un IPhone pour prendre des images, je fais de la sculpture, de la peinture, je réalise des films. Et ce que je fais ne relève pas du domaine de la photographie. Pourquoi dis-je cela, et avec tant de conviction ? C’est parce que vous devez comprendre qu’est apparu un nouveau médium, qui en est aux prémices de sa vie, non au stade embryonnaire mais qui demeure très jeune. C’est un médium fait de virtuel, d’intelligence artificielle, d’internet. C’est un monde hors de la photographie qui émerge comme nouveau médium. Et c’est très excitant, stimulant, j’adore ! (Rires). Hier, j’étais sur un shooting. Parallèlement je faisais une impression 3D de la modèle tout en la mettant la scène. Et pourtant je shootais. C’est nettement plus excitant !
Votre vision du monde est-elle ironique ?
Non. Je ne pense pas. J’ai une vision très passionnée et très délicate du monde. Je n’aime pas le sarcasme, je n’apprécie pas vraiment l’ironie. J’aime les émotions pures. J’essaye de comprendre le vrai sens des choses. Le monde dans lequel nous sommes est complexe.
Etes-vous fidèle à la réalité ?
La photographie représente un monde qui n’est pas le nôtre, et en tant que spectateur, c’est ce que nous en attendons. Les artistes vous montrent ce qu’ils ont dans leur esprit, ils véhiculent leur opinion, ils vous montrent leur cœur, leurs désirs, mais ils ne vous montreront jamais ce qu’ils ont vraiment en face d’eux. Vous pouvez revenir sur les débuts de la photographie quand elle servait de reportage et de témoin de l’histoire. Les premières photos des champs de bataille étaient de pures mises en scène où les gens reconstituaient l’histoire en déplaçant les corps et les accessoires. La photographie n’est pas un medium qui montre la vérité, mais qui montre une opinion. Une opinion qui doit être considérée comme vérité. Il n’y a pas plus de mensonges que dans la peinture. Et la peinture est encore plus subjective ! C’est une incompréhension. Il y a plusieurs stades, plusieurs niveaux dans la compréhension d’une photographie. Regardez les médias et les réactions des gens. « C’est une image retouchée avec Photoshop » mais tout est une question de point de vue. La façon même de vous placer en tant que photographe, l’objectif photographique que vous allez utiliser, vont tout changer. Placez-vous au-dessus de la personne et vous apercevrez une grosse tête, de larges épaules et un corps plus réduit. Renversez la situation et ce sont les jambes qui vous sembleront interminables, comme dans l’industrie de la mode d’ailleurs qui l’a très bien compris. Et pourtant ce n’est qu’un objectif photo. Alors qu’est ce qui est réel ? Il y a une compréhension irréaliste de ce médium. Les gens devraient se libérer de cette idée que les photographes présentent une réalité. Tout comme ils comprennent la réalité d’une comète en stop motion devant un lm de Spielberg. C’est de la fantaisie. Nous le savons. Nous sommes heureux d’être manipulés par l’image. Le cinéma traite de la fantaisie, la photographie également. C’est la déviation artistique qui est le mensonge.
- Retrouvez la suite de Nick Knight dans Normal Magazine n°9 -